Quelle esperance aujourd’hui pour la Palestine
Je ne sais pas si P. Teissier a fait exprès d’employer le mot « espérance », au lieu d’ « espoir », mais cela est très significatif. « Espoir » s’arrête aux efforts des hommes, tandis qu’« espérance » contient une note spirituelle. Je dis cela en tant que Palestinien chrétien d’abord, ensuite en tant que Palestinien qui a vécu en Palestine les 15 dernières années, pendant lesquelles on a cru à certains moments que la solution était à portée de main (surtout avec Oslo en 1994)…. Mais malheureusement rien n’a abouti et tous les « espoirs » se sont évanouis.
Néanmoins, je crois qu’il faut rester optimiste pour plusieurs raisons: D’abord par principe, sinon tout devient noir et la vie devient impossible, ensuite parce qu’il faut croire en une évolution positive, quoi que lente, de l’Histoire, une évolution qualitative vers plus de justice, de solidarité et de paix. Pour un croyant cela s’appelle croire que Dieu mène l’Histoire…. Une autre raison d’optimisme est le fait que les deux parties du conflit, Israël surtout, commencent à être convaincues que l’unique solution du problème est la négociation sincère et franche, avec deux Etats souverains et viables. Enfin, il y a l’Espérance qui est une vertu religieuse et qui est la dernière à mourir.
Quelle espérance donc, aujourd’hui, pour la Palestine? Je parlerai de deux dimensions, une politique et l’autre religieuse.
Dimension politique : Qui dit espérance dit nécessairement le futur. On essaiera donc de faire abstraction du présent douloureux que la TV nous montre tous les soirs.
* Il y a une conscience mondiale, une conviction même, que l’État palestinien est devenu une nécessité politique. Et pas n’importe quel État. Même les USA parlent d’un État palestinien « souverain et viable », c’est-à-dire avec une continuité géographique , pour barrer la route au rêve israélien, irréalisable et impossible, d’un mini État palestinien, constitué de cantons séparés par des zones « tampons » israéliennes. Cette évolution politique n’est pas un détail lorsqu’on pense que, il y a seulement trente ans, la résolution 242 du Conseil de Sécurité parlait juste de résoudre la question des « réfugiés palestiniens ».
* Il y a une conscience politique palestinienne très poussée. Presque tous les jeunes palestiniens sont « politisés ». Trois facteurs ont aidé la formation de cette conscience politique:
o La conviction générale et généralisée chez les Palestiniens que la solution de la fameuse « question palestinienne » est uniquement entre les mains des Palestiniens eux-mêmes. Il aura fallu plusieurs expériences négatives avec les pays arabes « frères » – je parle de l’aspect purement politique – pour que le peuple palestinien arrive à la conviction que – comme le dit un proverbe arabe – « Pour gratter ton dos, il n’y a que tes propres ongles » ما بحكّ ظهرك الاّ ظفرك.
o Le niveau intellectuel très élevé des Palestiniens. Le peuple palestinien est l’un des peuples arabes les plus alphabétisés (98%). Ayant perdu leur pays et leurs maisons – et certains plus de trois fois – les Palestiniens ont investi leurs ressources matérielles dans l’éducation. Et plus on a à faire à un peuple éduqué, plus la conscience politique est élevée, et par conséquent, l’espérance pour l’avenir est grande.
o Le contact avec les Israéliens a forgé chez les Palestiniens un sens politique assez aigu. Car il ne faut pas s’imaginer que les contacts israélo-palestiniens étaient seulement « pierre – canon ». Il y a de forts contacts économiques, mais il y a eu, et il y a toujours, des contacts politiques…. Des négociations sans fin, en Palestine et dans tous les pays du globe. Les politiciens palestiniens sont les plus capables de traiter avec les Israéliens. Ils ont appris leur manière de penser, de tergiverser, de renvoyer l’application des décisions sine die…
* La conscience politique israélienne est en train de changer. Rabin était un exemple, peut-être prématuré. Sharon semble (avec quelques réserves dictées par la prudence) s’acheminer vers la solution politique réaliste. On le verra bien en mars. Mais il y a aussi une lente évolution dans les convictions politiques de la rue israélienne. Evolution causée par la fatigue, la peur, la volonté de vivre tranquille etc… Il est certain que lorsque la majorité de l’opinion publique israélienne (je parle de la rue) optera pour deux Etats souverains, la chose sera faite. On n’en est pas encore là.
Dimension religieuse. En Palestine, il y a les Lieux saints des trois religions monothéistes. Les chrétiens, les musulmans et les juifs y ont vécu ensemble pendant des siècles. Parler de dialogue en Terre sainte, c’est donc parler du pain quotidien. Un habitant de Palestine, fût-il chrétien, musulman ou juif, ne peut pas vivre sans des relations avec l’autre qui est différent. La Terre sainte est une terre de dialogue religieux par vocation, mais aussi par nécessité. Je traiterai non seulement le dialogue, mais aussi la vie commune entre chrétiens et musulmans en Palestine, toujours dans la perspective de l’avenir.
Je commence par dire que les relations islamo-chrétiennes dans la future Palestine seront la continuation de ce qu’elles sont actuellement, avec quelques notions qui ont besoin d’être mises au clair.
– Les relations islamo-chrétiennes en Terre sainte sont bonnes. Elles sont bonnes d’abord au niveau officiel, c’est à dire au niveau de l’autorité palestinienne. Elles sont bonnes aussi au niveau de l’ « intelligentzia » palestinienne. Je parle des hommes de pensée, des professeurs d’université, des écrivains etc… Mais lorsqu’on descend dans la rue palestinienne, il y a des nuances à faire, et j’en parlerai un peu plus loin. Voici quelques raisons pour lesquelles ces relations sont bonnes:
* Une longue histoire. Cela fait quinze siècles que les chrétiens et les musulmans palestiniens vivent ensemble. Il serait naïf de penser que ces 15 siècles se soient passés sans heurts, sans des hauts et des bas. Mais il est aussi vrai qu’une si longue coexistence a forgé chez les uns les autres la conviction que l’autre (chrétien ou musulman) constitue une partie intégrante de sa propre histoire, de sa propre culture et de sa propre civilisation. Il ne s’agit pas là d’un simple détail.
* Les Palestiniens chrétiens ne se sont jamais considérés autres que palestiniens. Leur appartenance au peuple palestinien, dans sa large composante musulmane n’a jamais fait problème. On a pu dire que la Palestine (comme partie de la grande Syrie qui comprend l’actuelle Syrie, Jordanie et Palestine) était la partie du monde arabe la plus “arabisée”, ce qui n’est pas le cas pour d’autres chrétiens dans le reste du monde arabe. Cette appartenance acceptée et assimilée, indiscutée et indiscutable, détermine largement le caractère spécifique des relations islamo-chrétiennes en Palestine. Concrètement, cela veut dire que le dialogue islamo-chrétien en Palestine se porte bien parce que les Palestiniens chrétiens partagent sereinement, avec leur concitoyens musulmans, la même histoire, la même langue, le même patrimoine culturel, les mêmes espoirs, voire les mêmes réactions psychologiques.
* Une troisième raison pour laquelle les relations islamo-chrétienne sont positives en Palestine est le fait que les chrétiens palestiniens sont originaires du pays, au même niveau, et même plus que les musulmans palestiniens. Cela leur donne une assurance morale et rend logique pour eux comme pour les musulmans, que le pays, la société et la vie quotidienne est islamo-chrétienne.
* Enfin, ” à quelque chose malheur est bon”. Il est vrai que la situation politique dans laquelle vit la Palestine depuis le début du 20ème siècle a aidé, d’une certaine manière, le dialogue islamo-chrétien. Car la souffrance unit, aussi bien que le fait de se trouver devant un adversaire commun. Et ce qui se fait aujourd’hui s’était répété dans l’histoire. Chrétiens et musulmans se sont unis pour combattre les Croisés (chrétiens), les Turcs (musulmans) et maintenant les Israéliens (juifs). Ce n’est pas pour rien que nos fidèles sont passés du statut de chrétiens palestiniens” à celui de “Palestiniens chrétiens”.
Mais avec tous ces aspects “positifs” il y a aussi les malentendus, des soucis, des poids historiques, des préjugés, des prises de positions, des questions encore sans réponses, et qui constituent une matière pour continuer l’effort de recherche et de discussion dans la Palestine à venir. Je cite quelques points:
* Nous avons mentionné la rue musulmane palestinienne. La rue musulmane palestinienne regarde parfois le chrétien palestinien avec une petite ombre de doute sur son appartenance totale et franche à la cause palestinienne et arabe en général. Le motif de ce nuage de doute populaire se trouve dans le fait que les trois institutions essentielles qui forment la base musulmane (la famille, l’école et la mosquée) font peu ou rien pour éduquer la rue palestinienne à un sain pluralisme, et par conséquent à un regard d’égalité foncière entre chrétien palestinien et musulman palestinien. En fait, dans les cercles fermés de famille (c’est aussi vrai dans les familles chrétiennes), on parle souvent mal de l’autre. Le curriculum scolaire palestinien parle plus des non musulmans que des chrétiens, ce qui est déjà un signe, et les mosquées, qui sont un lieu de formation populaire par excellence, parlent timidement du concitoyen chrétien. Il y a là un grand effort à faire du côté palestinien musulman. L’absence d’une autorité palestinienne efficace, le désordre politique et social régnant pour le moment, n’aident pas encore à pousser dans ce sens
* Un autre malentendu est de couleur historique. Comme l’Occident confond facilement entre arabe et musulman, l’Orient confond facilement entre l’Occident et le christianisme. Le Palestinien chrétien est facilement lié à l’Occident et à tout ce que fait l’Occident (Croisades, colonialisme, sionisme, conflit israélo-arabe, capitalisme, guerre du golfe, de l’Afghanistan, Iraq etc…) Le chrétien sent qu’il a sans cesse besoin d’affirmer son arabité, et de répéter qu’il n’a rien à faire avec ce que l’Occident fait au niveau politique, économique ou militaire.
* Une troisième source de malaise est de l’ordre des nombres. Car, des 15 siècles de coexistence avec les musulmans, il y en a bien 13 de statut de minorité. Pendant des siècles, le statut de majorité musulmane et de minorité chrétienne a forgé chez les uns et chez les autres une mentalité qui ne facilite pas toujours le dialogue. Du côté majoritaire, on parle facilement de tolérance, de protection, voire même de privilèges, ce que les chrétiens ne veulent pas; car ils considèrent – justement – que la citoyenneté, les droits et les devoirs, relèvent de la personne humaine, non des statistiques. Et du côté minoritaire, il y a une certaine tendance à la peur, à la recherche d’une protection étrangère, une certaine résistance à descendre dans la place publique, et l’exagération de petits incidents quotidiens. Le côté musulman (majoritaire) n’a pas encore donné des assurances claires aux chrétiens, et qui soient capables de dissiper ces appréhensions qui relèvent à la fois de la psychologie, de l’histoire et de la prudence.
* Un dernier élément est l’islamisme montant dans différents pays, quoique avec des couleurs différentes. Disons-le d’emblée: l’Islamisme palestinien n’est pas dangereux pour les chrétiens palestiniens. Il est né dans un contexte d’injustice politique, et une fois la justice et la paix rétablies, nous espérons qu’il se transformera en un mouvement à visée religieuse. Néanmoins, et comme le religieux et le politique s’entrepénètrent dans l’Islam, nous voyons l’apparition d’un nouveau vocabulaire à couleur islamique, et qui donne quelques appréhensions au chrétien palestinien; des expressions comme “L’Islam est la solution”, “Jérusalem – et la Palestine – est un Waqf ( propriété religieuse) islamique”, les “nouvelles Croisades” etc…
Conclusion
Les petites ombres du dialogue islamo-chrétien en Palestine n’arrivent pas à la crise, et certainement pas à la panique. C’est que le fil conducteur des relations islamo-chrétiennes est autre. Il y a, de part et d’autre, des “sages” – concept très important en Orient – qui déjouent les petits incidents et les empêchent de s’envenimer. Et ces sages, de côté musulman, se trouvent dans la classe politique dirigeante aussi bien que dans le monde des responsables religieux. Mais les responsables religieux, de part et d’autre, ont aussi autre grand défi à relever: celui d’aller souvent à contre courant, i.e. contre la mentalité de la rue palestinienne, chrétienne et musulmane. Du côté chrétien, les responsables religieux doivent prêcher que la présence chrétienne palestinienne dans un monde musulman n’est pas le fruit du hasard, mais qu’elle est bien la volonté de Dieu. Il s’agit donc d’une mission. Dieu veut que les Palestiniens chrétiens le soient, au milieu, avec, au service et pour les Palestiniens musulmans. Et du côté musulman, les responsables religieux musulmans doivent dire tout haut que la société palestinienne musulmane et le futur Etat palestinien sont inconcevables sans les chrétiens palestiniens. Il y faut du courage, une vision objective et claire et de la réalité palestinienne, et surtout beaucoup de patience … et de prière.
+ Maroun Lahham
Alger 9.2.2006
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