LLa situation en Terre Sainte – Les divers enjeux locaux.
Je pense que la plupart des habitants de la planète suivent ce qui se passe en Terre sainte, mais combien d’entre eux parviennent à comprendre réellement la situation ? Un mot qualifie bien la situation au Moyen Orient et en Terre sainte en particulier : c’est la « complexité ». En Orient rien n’est simple. Tout d’abord, une complexité politique: Israel, Palestine, OLP, Autorité palestinienne, Likud, Hamas, Jihad islamique, Hezboullah… Dans ce fourmillement de noms et de tendances, il est difficile de s’y retrouver… Religieusement ensuite, cela n’est pas moins complexe. Chrétiens, musulmans, juifs, druzes. Et parmi les chrétiens, on peut encore faire distinction entre catholiques, orthodoxes, protestants, sectes…, chaque Eglise ayant ses propres rites, sa propre langue et spiritualité.
Cette complexité est le résultat de plusieurs enjeux qui se côtoient, s’enchevêtrent et rendent par conséquent la vie quotidienne en Terre sainte difficile à pénétrer, et les crises presque impossibles à résoudre.
Les enjeux de Terre sainte sont nombreux et divers. Je vais essayer de vous en présenter 4, les principaux : l’enjeu historique, humain, politique et religieux.
1. Enjeu historique
Les racines du conflit qui oppose les Palestiniens aux Israéliens remontent très loin dans l’histoire. Celui-ci a reçu des interprétations différentes et même opposées, et a nourri, des deux côtés, à la fois des sentiments positifs de patriotisme et de fidélité aux valeurs, mais a suscité aussi des actes de violence en contradiction avec les valeurs de paix et de justice, recherchées par les uns et les autres.
Commençons par le peuple palestinien : Il a le sentiment que son histoire a été « confisquée ». Il se voit taxé de « terroriste », alors qu’il a la conviction de réclamer ses droits les plus fondamentaux (liberté, justice, terre, indépendance).
Historiquement, chrétiens et musulmans palestiniens ont vivement conscience d’avoir toujours vécu dans ce pays. La Palestine est leur pays, leur patrimoine politique et culturel. Ils ne se sont jamais vus autre que Palestiniens. C’est pourquoi, l’arrivée en masse des immigrants juifs au début et au milieu du XXème siècle leur est apparue comme une menace pour leur identité et leur autonomie dans leur Pays. Ajoutons à cela que plusieurs gouvernements occidentaux étaient souvent fortement impliqués dans cette entreprise, ce qui, évidemment, n’a pas facilité les choses.
D’autre part, les Juifs considèrent ce même pays comme leur terre sainte, promise à leurs pères, la terre des prophètes, en vue d’une bénédiction pour tous. Dispersés à travers le monde, ils ont été souvent les victimes d’une discrimination et de persécutions de toutes sortes. Le comble fut atteint sous le régime nazi pendant la deuxième guerre mondiale.
Le mouvement sioniste entendait libérer le peuple juif de ces menaces, en lui procurant une existence autonome en Palestine. Mais la réalisation de cette idéologie nationaliste ne pouvait pas ne pas entrer en conflit avec les aspirations du peuple palestinien vivant sur cette même terre.
Voici donc le premier enjeu, et on devine tout de suite sa complexité.
2. Enjeu humain
C’est peut être l’enjeu le moins visible, mais de loin le plus important. Car, derrière les idéologies, les guerres, il y a des hommes qui souffrent, il y a des personnes humaines dont la dignité est bafouée tous les jours, des personnes dont les droits les plus élémentaires sont niés (droit de voyager, d’étudier, de se marier, de mourir dignement). Et l’enjeu humain ne touche pas que les personnes en tant que personnes, il les touche aussi en tant que peuple (droit à la liberté, à la sécurité, à l’autonomie, à la justice…)
L’enjeu humain du conflit est peut être le seul où il n’est pas permis de prendre parti pour les uns ou les autres, car tout le monde souffre d’une manière presque égale. L’homme en effet, tant israélien que palestinien, est au centre du conflit. Et dans ce conflit, il est blessé dans sa dignité de fils de Dieu, créé à son image et ressemblance. C’est donc un homme dont la dignité est atteinte, et ceci est vrai pour le vainqueur comme pour le vaincu, pour le fort comme pour le faible, pour le grand comme pour le petit. En Israël comme en Palestine, il y a des milliers de victimes d’abord, c’est-à-dire, des personnes qui perdent littéralement la vie tous les jours, mais il y a aussi – et surtout – des blessés dans leur coeur, dans leur amour, dans leur famille, dans leur système de valeurs, dans leur conscience, dans leur humanité. Des milliers de personnes tiraillées entre les sentiments de paix et de violence, de pardon et de haine, de dialogue et de refus, de résistance et d’oppression.
Il y a aussi un autre aspect de la souffrance humaine dans le conflit moyen oriental. Outre l’humiliation de la dignité humaine, il y a le sentiment de peur. Car – et il faut le crier sur tous les toits – les Israéliens ont peur et les Palestiniens aussi ont peur. Ils ont peur du passé, du présent et de l’avenir.
* Du passé. Un passé plein d’incompréhensions, de luttes et de souffrances. Et cette mémoire du passé est à l’origine, de part et d’autre, de mécanismes psychologiques et de certains comportements rigides qui dénotent une méfiance totale envers l’autre, même lorsque celui-ci tend une main sincère et réconciliatrice. Le fameux mur de séparation qu’Israël est en train de construire en est un exemple éloquent.
* Du présent. Peur de la logique de guerre qui sévit depuis plus d’un demi siècle. Une logique qui conduit naturellement à une fermeture totale à l’égard de l’autre, voire nier son existence. Une logique infernale parce qu’elle conduit à penser que sa propre survie passe par la disparition de l’autre, et que sa propre sécurité passe par l’humiliation de l’autre, alors que la réalité est exactement le contraire.
* De l’avenir. Peur que l’équilibre d’une paix éventuelle, déjà assez fragile, ne se voie menacé par la zone d’ombre qui persiste dans le cour des anciens adversaires. Peur de ne pas être capables de transmettre aux nouvelles générations les valeurs de paix, de réconciliation et de pardon. Peur que, après de longues années de conflit, on ne soit pas capable d’être les protagonistes d’une culture de liberté, d’égalité et de fraternité.
3. Enjeu politique
C’est l’enjeu le plus évident. Car le conflit israélo-palestinien est essentiellement politique. Il s’agit de deux peuples qui se disputent une même terre. Et le jeu politique devient encore plus complexe si on ajoute la dimension religieuse, qui est fondamentale en Orient et dont nous parlerons juste après. Et c’est à cet enjeu politique que tous les hommes de bonne volonté travaillent depuis des années. On ne compte plus les résolutions de l’ONU et du Conseil de Sécurité, comme on ne compte plus les plans de paix proposés, ni les conférences et les pourparlers entre Palestiniens et Israéliens, seuls ou avec d’autres. De tous ces efforts diplomatiques, une réalité s’impose, qui doit être à la base de toute solution du conflit. Nous sommes devant deux peuples et trois religions. Et si l’on ajoute la question de la ville de Jérusalem, l’équation devient : Une seule ville, deux peuples et trois religions. N’importe quelle solution du conflit doit répondre à ces trois dimensions si elle veut être crédible et applicable.
Il est paradoxal, à l’intérieur de cet enjeu politique, de noter que tout le monde parle de justice, de paix et de sécurité. Des Israéliens les plus fanatiques aux Palestiniens les plus fondamentalistes, en passant par les modérés des deux côtés, il est toujours question de paix, de justice et de sécurité. Mais alors que la paix est un point commun, c’est la place qu’on donne à la justice ou à la sécurité qui fait la différence, et qui empêche de s’entendre. Je m’explique : Tout le monde veut la paix. Mais alors que les Palestiniens réclament le rétablissement de la justice avant de donner la sécurité aux israéliens, les israéliens exigent la sécurité comme condition préalable au rétablissement de la justice. Et le cercle vicieux continue. La question est donc la suivante: Qui est le fruit de quoi ? Est-ce que la justice est le fruit de la sécurité, ou est-ce que la sécurité est le fruit de la justice ? Jean XXIII, dans son Encyclique Pacem in Terris, dit clairement que la paix ne peut se fonder que sur la justice.
4. Enjeu religieux.
Cela peut vous sembler étrange. Vous êtes français et vous avez séparé l’Eglise et l’Etat depuis bien longtemps, et vous trouvez cela normal et même bon. Nous aussi nous le souhaitons, mais force est de constater que les choses ne se passent pas ainsi en Terre sainte. Non parce qu’elle est sainte, c’est à dire parce que Dieu y a parlé aux hommes, mais pour le simple fait qu’en Orient, le religieux et le politique se mêlent et se compénètrent. La raison est dogmatique. Les deux grandes religions de la région, l’Islam et le Judaïsme, ne reconnaissent pas la séparation de la Synagogue et de l’Etat, ni de la Mosquée et de l’Etat.
Commençons par l’Islam. L’Islam est une religion où la composante temporelle est essentielle. Le credo musulman comprend la nation musulmane, pour ne pas dire l’Etat musulman. Cette réalité devient plus évidente pour la Palestine qui est une terre sainte, la terre de Dieu et des hommes. Et ce n’est pas de la rhétorique, c’est la conviction la plus profonde dans l’âme des musulmans. Ce n’est donc pas du fanatisme religieux ou politique, mais une composante essentielle du credo musulman. Et au centre de cette Terre sainte réclamée comme telle par l’Islam, il y a Jérusalem, « La Sainte » en arabe, et cela en dit long. Elle est une des trois villes saintes de l’Islam (avec la Mecque et Médine), visitée par Mohammed pendant la fameuse nuit de son « Ascension » au Ciel, et le cour de la Nation. Un grand intellectuel palestinien, Dr. Mahdi Abel Hadi, présente la position musulmane sur Jérusalem comme suit :
Jérusalem est une ville historique. C’est un patrimoine universel qu’il faut préserver, restaurer et sauvegarder.
Jérusalem est une ville sainte. Cela requiert la protection des lieux saints, la garantie des droits de liberté religieuse et de culte, et leur accès, aux habitants et aux pèlerins, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent.
Jérusalem est une ville politique. Donc droit à la terre, à la souveraineté nationale, aux droits politiques des Palestiniens de la ville.
Jérusalem est une ville centrale. C’est la plus grande ville palestinienne, la capitale politique, sociale, culturelle et académique du peuple palestinien.
Jérusalem est une ville stratégique. Elle est le centre géographique de la Palestine. Elle relie le sud (Bethléem, Hébron), au nord (Ramallah, Naplouse).
Les Juifs, de leur côté, ont pour la Terre sainte en général, et pour Jérusalem en particulier, le même culte, fondé lui aussi sur le credo religieux. La foi juive repose, en effet, sur une Trinité indivisible: Dieu, le Peuple et la Terre. Un Dieu qui s’est choisi un Peuple et qui lui a promis une Terre. Toute l’histoire d’Israël, dans la Bible et dans l’histoire moderne, gravite autour de cela. C’est une Promesse divine, la terre des pères, la terre qui, à un certain moment de l’histoire, a « vomi ses habitants » qui ne lui étaient pas fidèles, la terre d’où les Juifs ont été dispersés dans les quatre coins du monde, la terre dont ils ont rêvé pour des générations et des générations, la terre dont ils ont toujours gardé la nostalgie jusqu’au point d’en faire une expression quotidienne pour se saluer : « l’an prochain à Jérusalem ».
La position israélienne actuelle sur Jérusalem est claire : capitale unique et éternelle de l’Etat d’Israël. C’est d’ailleurs pour cela que, dans tous les plans de paix, la question des frontières des deux Etats proposés, et le statut de la ville de Jérusalem sont laissés pour la fin.
La dimension religieuse du conflit n’en fait pas pour autant un conflit religieux, encore moins une guerre religieuse. Le conflit est essentiellement politique, avons-nous dit, mais il a une forte dimension religieuse qu’on ne peut ignorer.
Conclusion
Je conclus par l’affirmation d’une présence et d’un rôle. La présence de l’Eglise de Terre sainte et son rôle. Car l’Eglise est là. Minoritaire, mais effective, consciente de son rôle et déterminée à le jouer.
Elle est là tout d’abord comme témoin de la Résurrection. Elle continue la présence et la mission de Jésus Christ qui est passé en faisant le bien partout. Elle assure la présence des pierres vivantes qui ont su, à travers deux mille ans, sauvegarder la foi et préserver les lieux saints des outrages de l’histoire et des hommes. Et dans le conflit actuel, l’Eglise de Terre sainte est la voix des sans voix, l’avocate de la justice et de la liberté. Enfin, une fois la justice, la paix et la sécurité rétablies, elle se propose de commencer un long travail de purification de la mémoire, basé sur deux concepts propres à la foi chrétienne : la réconciliation et le pardon.
Mons. Maroun Lahham
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